Critique Daredevil Born Again : un diable ressuscité, malgré un rythme chaotique

Pour comprendre Daredevil Born Again, il faut se pencher sur la genèse de cette nouvelle série. A l’origine, le projet était de partir sur dix-huit épisodes et si on ne saura jamais comment ces derniers auraient été articulés (sur une seule saison ou sur deux saisons), on sait en revanche que le premier jet de Born Again s’est vu stoppé dans son élan de production par la grève des scénaristes et des acteurs. Un mal pour un bien alors que 6 épisodes étaient déjà en boîte, puisque Kevin Feige et les décideurs de Marvel Studios se sont aperçus que la série n’allait pas du tout dans le bon sens. Une série qui a vécu deux vies Pas assez violent ? Pas assez sombre ? Ce qui a filtré, c’est que le ton et l’ambiance de la série Daredevil ne rejaillissait pas du nouveau programme. Exit l’ancienne équipe créative, place au showrunner du Punisher, Dario Scardapane et aux réalisateurs Justin Benson et Aaron Moorhead, qui avaient déjà officié au sein du Marvel Cinematic Universe sur les séries Loki (saison 2) et Moon Knight. C’est d’ailleurs en séduisant Ethan Hawke, un des amis de longue date de Vincent D’Onofrio, que ce dernier, un temps circonspect par les atermoiements de la première production, a été convaincu de rester dans le bateau et de se plonger coeur et âme dans la nouvelle mouture de Daredevil Born Again. Il faut également préciser qu’à l’origine, ni Deborah Ann Woll, l’interprète de Karen Paige, ni Elden Henson, l’acteur qui incarne Foggy Nelson n’étaient prévus. Le reboot de Daredevil devait être total et justifier, dans le cas précis, le titre de “Born Again”. Si l’idée de résurrection du personnage a été conservée, la direction prise, elle, a changé. Une introduction coup de poing pour (re)créer une ambiance Pour garder l’idée de base, il fallait que la nouvelle équipe frappe fort. Très fort. Et c’est le cas, avec la mort de Foggy Nelson dans les premières minutes de la saison, abattu froidement par un Bullseye revanchard, et aux motivations longtemps restées secrètes. Le choc est à la hauteur de l’impact recherché et c’est évidemment de là que part l’histoire : Matt, profondément abîmé par la perte de son meilleur ami, estime qu’à cause de lui, une ligne a été franchie et cette ligne implique la disparition pure et simple de sa double identité, celle de Daredevil. Evidemment, le temps va avancer et les choses vont lentement amener Matt à délaisser de plus en plus la tenue d’avocat pour celle du justicier. L’avènement de Wilson Fisk en maire, l’affaire White Tiger, le cas Muse, la création de la Task Force, Bullseye… Les raisons des retrouvailles de Matt et de son costume couleur sang sont nombreuses. Le principal problème – oui car il y en a bien un, au moins – est la durée des enjeux cités plus haut. Deux épisodes pour White Tiger, deux pour Muse, c’est peu pour des moments particulièrement attendus dans une saison. Idem pour le Punisher, qui nous offre des scènes fortes – sur ce point, Jon Bernthal n’a pas menti – mais une présence beaucoup moins impactante que ce que l’équipe technique avait promis – sur ce point, on nous a menti -. Et le souci est là, c’est le défaut d’impact de ces mini-arcs narratifs, qui alimentent l’histoire certes (White Tiger entraîne l’émergence d’une police radicale, Muse celui du plan de Fisk, qui est de rendre les justiciers hors-la-loi à New-York) mais qui manquent d’un développement plus profond. Disney + et son calendrier n’ont pas aidé Honnêtement, en ayant eu accès à tous les épisodes en avance, l’avancée de la saison ne nous a pas gêné. Mais force est de constater que le rythme de diffusion particulièrement alambiqué de la part de Disney + – deux épisodes par ci, un épisode par là – a mis particulièrement en exergue cette faiblesse, en grande partie du au raccordement entre le premier jet des épisodes tournés et conservés et ceux (le premier et les deux derniers) réalisés par la nouvelle équipe créative. Ce que n’a pas eu besoin de mettre en avant le rythme de diffusion, ce sont certains effets spéciaux pas franchement jolis, aboutis et réussis, tous répertoriés dans la même catégorie : les scènes aériennes, avec ou sans grappin, de Daredevil. Dommage, car en plus de ne pas être nécessaires, ces effets entachent tout de même un peu une réalisation de tout premier plan, qui a clairement mis l’accent sur la violence, sans lésiner, confirmant le nouveau virage pris à ce sujet par Marvel et, au-dessus, par Disney. Born Again renvoie à la cruauté de la première série Daredevil, avec un plan séquence particulièrement impressionnant, aussi bien en termes de chorégraphie que de lumières en ouverture, des membres brisés, des os cassés, des visages bien abîmés. Fisk-Murdock, un axe toujours aussi puissant Matt Murdock et Wilson Fisk s’en donnent à coeur joie, libérant de concert leur nature profonde tout au long des neuf épisodes, en brisant des tibias et quelques autres parties du corps et en usant de ses bâtons (ce qui n’était pas trop le cas dans les saisons de Daredevil) pour le premier, en menaçant et en martyrisant un homme ou deux pour le second, avec toujours une symétrie de scènes bienvenue. Car, on l’a bien compris, Daredevil et Fisk sont liés et l’un n’existe pas réellement sans l’autre. Il faudra bien un jour et pour le bien du futur de Born Again couper le cordon entre les deux personnages, ou du moins temporairement, car Daredevil a d’autres démons à combattre et chasser. Mais la complicité et la dualité des deux meilleurs ennemis est telle qu’on l’accepte et qu’on savoure cette lutte à distance, ce qui évidemment ne changera pas dans la saison 2. Surtout, on aime ça. C’est d’ailleurs, outre la violence et le travail chorégraphique des combats, le point fort de cette saison, qui s’apparente réellement plus à la première partie d’un ensemble, avec la volonté d’introduire un maximum d’éléments importants pour la suite, comme la véritable position de Vanessa sur l’échiquier du crime new-yorkais, la Task Force, la vraie nature du plan de Fisk, le retour à l’état sauvage de Matt et la séparation en deux camps des principaux protagonistes de la série, pour une guérilla désormais attendue… dans un an.