Procès Le Scouarnec : « Je lui ai demandé de faire ses bagages », cet ancien directeur d’hôpital qui a refusé de l’embaucher
A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes Il est l’un des seuls à avoir dit « non » à Joël Le Scouarnec durant toutes les années où le pédocriminel a sévi. En juin 2007, Jean-Pierre Dupont était directeur de l’hôpital de Pontivy (Morbihan). En quête d’un chirurgien viscéral, il s’apprêtait alors à accueillir le médecin pour un remplacement d’une semaine, en vue de le recruter. « Je l’ai rencontré le jeudi pour un remplacement qui devait commencer le lundi, a témoigné ce mardi le retraité devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes. Je l’ai trouvé très introverti. Il posait peu de questions, ce qui est très inhabituel pour une personne qui recherche un emploi. J’ai donc eu une impression mitigée après l’entretien, mais un chirurgien n’est pas là pour plaire à un directeur. » Le lendemain, un coup de téléphone reçu à une heure tardive vient chambouler tous les plans du directeur de l’hôpital. A l’autre bout du fil, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS). Sur le ton « de la recommandation », ce dernier « déconseille » alors à Jean-Pierre Dupont d’embaucher Joël Le Scouarnec. « Il a évoqué des problèmes de consultation de fichiers pédopornographiques », se souvient Jean-Pierre Dupont. Fin 2005, alors qu’il était en poste à l’hôpital de Quimperlé (Finistère), Joël Le Scouarnec avait en effet été condamné par le tribunal de Vannes à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques. « J’ai été un peu furieux d’apprendre cette information comme ça », reconnaît l’ancien directeur. Sa condamnation ne l’a pas empêché d’exercer Le lundi matin, alors que Joël Le Scouarnec vient à peine de débarquer dans son établissement, il lui demande donc « de faire ses bagages et de quitter l’établissement » sur-le-champ. Sans savoir alors que Joël Le Scouarnec a déjà sévi au sein de son hôpital. Alors qu’il était en poste à la clinique du Sacré-Coeur à Vannes, le chirurgien avait accepté en juin 2003 de faire un remplacement d’un week-end au sein de l’établissement. « Deux jours qui ont été suffisants pour qu’il s’adonne à des attouchements sur une pauvre victime », regrette Jean-Pierre Dupont. Il n’a découvert les faits que bien plus tard, lorsque l’affaire Le Scouarnec a éclaté. En 2006, le directeur de l’hôpital de Quimperlé avait également été informé de la condamnation du chirurgien, mais sans que cela n’empêche Joël Le Scouarnec d’exercer. « L’intérêt de son hôpital a dû passer en priorité car en gardant son chirurgien, il préservait sa chirurgie et sa maternité », estime Jean-Pierre Dupont. Qui ne jette pas la pierre non plus sur la directrice de Jonzac (Charente-Maritime), où le chirurgien viscéral a ensuite été recruté. « La situation est tellement dramatique dans ce pays pour le recrutement médical que j’essaye de comprendre ma collègue », assure l’ancien directeur d’hôpital « Difficile d’être plus dur que la justice » Jean-Pierre Dupont en veut surtout à la justice. « Je pense que le tribunal correctionnel aurait dû assortir sa peine d’une interdiction d’exercice, au moins partielle, sur les enfants, reconnaît-il aujourd’hui. Alors que là, la justice l’a autorisé à continuer d’exercer. C’est difficile pour un directeur d’hôpital d’être plus dur que la justice, et je pense que les instances ont été paralysées par cette décision de justice. » Le procès de Joël Le Scouarnec, jugé pour des viols et agressions sexuelles sur 299 patients, se tient jusqu’à fin mai devant la cour criminelle du Morbihan à Vannes. L’ancien chirurgien encourt vingt ans de réclusion criminelle.