Il faut comprendre les mécaniques du silence. Après la parution ce jeudi 17 avril du livre enquête des journalistes Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, Abbé Pierre, la fabrique d’un saint (Allary), la Conférence des évêques de France (CEF) a annoncé qu’elle allait «se rapprocher» du Vatican pour «faire la lumière» sur de nouveaux éléments dont elle «n’avait pas connaissance». «Un symbole aux yeux des masses» «Les éléments mis au jour sont graves, et méritent d’être creusés, pour comprendre ce qui s’est passé, et quel a été le comportement des évêques français» en responsabilité à l’époque, indique la CEF dans un communiqué transmis à l’AFP. Mort en 2007, l’abbé Pierre est visé depuis 2024 par une série d’accusations d’agressions sexuelles. Dans leur livre, les journalistes expliquent avoir consulté des archives du Vatican montrant que le Saint-Siège était au courant «dès l’automne 1955» des agissements de l’abbé Pierre. Elles font notamment état d’une lettre du Vatican datée du 11 novembre 1955 envoyée à Alexandre Renard, l’évêque de Versailles, pour le sommer d’ouvrir «une procédure judiciaire». «Il semble que les relations inhonestae [déshonorantes, ndlr] de l’abbé ont été moins graves qu’il n’a été dit», répond alors Alexandre Renard, qui insiste parallèlement sur le fait qu’en France le prêtre est devenu «un symbole aux yeux des masses qu’il galvanise à la manière d’un prophète». «Comprendre comment tout cela a pu être oublié» C’est «une bonne chose que la vérité puisse être faite, et c’est d’ailleurs pour cela que la CEF a ouvert» les archives du Centre national des archives de l’Eglise de France (Cnaef) dès septembre 2024, et demandé au Saint-Siège «d’enquêter dans ses archives», souligne la conférence des évêques dans son communiqué. «Au regard de la gravité des faits évoqués», la CEF annonce qu’elle «va se rapprocher de la Nonciature [l’ambassade du Saint-Siège] et du Vatican pour faire la lumière sur ces éléments dont elle n’avait pas connaissance, n’en ayant nulle trace dans ses archives». «Il y aura à comprendre aussi comment tout cela a pu être oublié, et disparaître potentiellement des archives du Cnaef à partir de 1970», ajoute-t-elle. Longtemps figure de la défense des démunis, Henri Grouès, de son vrai nom, était visé fin janvier par 33 accusations de violences sexuelles, certaines émanant de personnes qui étaient des enfants au moment des faits. Ces agressions sexuelles et viols, commis entre les années 1950 et 2000, ont été révélés dans trois rapports depuis juillet 2024. En France, les archives de l’Eglise, ouvertes mi-septembre de façon anticipée face à l’émotion suscitée, ont montré comment, dès les années 1950, la hiérarchie épiscopale avait gardé le silence sur un comportement jugé «problématique» mais jamais nommé. Ces documents, consultés à l’automne par l’AFP, complètent ce que le président de la CEF Eric de Moulins-Beaufort affirmait en septembre : «Quelques évêques au moins» étaient au courant «dès 1955-1957» du «comportement grave» de l’abbé Pierre «à l’égard des femmes». Véronique Margron, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, association catholique représentant près de 480 instituts religieux, a demandé jeudi l’ouverture de «toutes les archives» sur l’abbé Pierre, y compris celles du Vatican, pour permettre aux chercheurs de «travailler» sur ses agissements et «l’impunité» dont il a bénéficié. «Des responsables non seulement ont vu, mais ont voulu agir. Et rien ne s’est passé, d’autres ont voulu le protéger», a affirmé à l’AFP la théologienne, pour qui «les victimes de l’abbé Pierre n’auraient jamais dû croiser cette route de malheur».