Il arrive toujours ce moment dans la vie d'un journaliste tech spécialisé informatique où, en se levant un samedi matin, il se décide à bazarder son installation Windows pour de bon. Les raisons peuvent être multiples : bouffée d'anti-conformisme aiguë, élan de haine soudain lors d'une synchronisation OneDrive non sollicitée... Pour moi, c'est quand Windows 11 a choisi de ne plus me laisser placer sa barre de tâches à gauche de l'écran. Un choix de vie qui désole tous mes consorts, persuadés qu'il s'agit d'un caprice de mec qui se la pète un peu trop, mais pouvoir gratter quelques pixels de résolution verticale, écoutez, ça n'a pas vraiment de prix quand on gratte des papiers sur les commutateurs de touches de clavier à longueur de journée. Alors oui, les plug-ins et autres greffons communautaires pour réparer les égarements de Microsoft existent bien (PowerToys, Windhawk...), mais ceux-ci ne sont qu'un placebo à un problème plus général : Windows, c'est du passé. À l'âge de la maturité, il est temps d'assumer ma toute personnelle préférence pour MacOS, son interface si épurée, si simple à prendre en main, son dock si pratique... Sur des produits beaucoup trop chers. Comment faire, alors, pour se tailler un système d'exploitation qui me ressemble ? Publicité, votre contenu continue ci-dessous La solution, me disais-je alors dans un excès de folie, serait de revenir à la source, là où tout a commencé, et partir sur un système Unix, cette grande famille à partir de laquelle a découlé macOS, mais aussi la foule de distributions Linux qui font le bonheur des libristes à travers le monde. Et peut-être le mien aussi - car c'est toujours meilleur quand c'est gratuit. Non ? Publicité, votre contenu continue ci-dessous L'arrivée du dernier PC portable modulaire Framework Laptop 13 à la rédaction était le moment parfait pour se jeter à corps perdu dans cette entreprise : quoi de mieux, après tout, qu'un OS libriste pour une bécane qui se veut affranchie du diktat de la big tech ? Framework met ainsi à disposition une foule de tutoriels pour installer une distribution Linux sur leurs PC portables - et conseille même Fedora 41, l'une des nombreuses distributions basées sur l'interface graphique (ou GUI) GNOME. Mais aux Numériques, on aime le nec plus ultra, alors c'est en toute innocence que j'ai décidé d'opter pour Fedora 42 à la place, sa toute dernière version rendue disponible en version stable le 15 avril dernier. S'il y a bien une chose à retenir avant de se lancer dans le monde des distributions Linux, c'est qu'elles ne se valent pas toutes en termes d'accessibilité. Certaines sont volontairement tournées vers les bidouilleurs (Arch Linux), d'autres carrément insondables pour qui n'a pas encore décroché son PhD en ingénierie spatiale au MIT (Instant OS). Fedora a l'avantage d'être simple à installer (et de s'occuper du partitionnement du tout seul, ouf) sur son module de stockage, mais aussi d'avoir une interface très similaire à macOS. Bref, sur le papier, tout semble parfait. Arch Linux est à réserver aux utilisateurs avancés © Wikimedia La pratique, elle, est néanmoins plus nuancée. Si l'installation se passe sans problème, il faut alors comprendre comment utiliser vraiment un système d'exploitation aussi décentralisé - et se familiariser avec l'invite de commande, communément appelée terminal. Ce passage immanquable dans les antres les plus austères d'Unix permet d'accéder et d'exécuter des fonctionnalités du "shell" interne au système d'exploitation, soit le plus bas niveau d'interface. Publicité, votre contenu continue ci-dessous Une pratique que la popularisation des interfaces graphiques (GUI) au cours du début des années 80 a fait oublier au commun des utilisateurs, mais qui permet d'exécuter bon nombre de commandes plus rapidement - à défaut d'être particulièrement intuitives. Il faut donc adopter un tout nouveau jargon : "sudo" permet d'exécuter des actions au niveau administrateur, "fwupd" d'autoriser les mises à jour de firmware... Tout un nouveau monde à apprendre. De même qu'il faut raisonner avec le concept de programmes à télécharger sous forme d'archives contenant leurs fichiers (paquets) à partir de leurs bibliothèques publiques (dépendances)... Fedora 42 permet d'organiser plusieurs "workspaces", comme sur MacOS © Les Numériques Fort heureusement, l'avantage d'une communauté aussi libriste que celle des utilisateurs de Linux est leur rejet unilatéral des canaux de communication modernes. Entendez par là que de nombreux forums existent toujours pour échanger avec d'autres utilisateurs bien plus chevronnés, autant pour du conseil que pour du service-après-installation. Un état de fait positif, qui évite de se taper les forums abscons de Microsoft à chaque problème sur W11 ou à devoir rajouter la mention "reddit" sur sa recherche Google. Car il faudra s'attendre inévitablement à rencontrer moult problèmes divers et variés lorsque l'on passe sur un "distro" Linux. Qu'importe les avancées en termes d'ergonomie et de stabilité des distros les plus populaires, tout débutant rencontrera un problème de compatibilité matérielle, de panne logicielle, de quelque chose qui déconne à un moment donné ; et bonne chance pour trouver la vraie raison de son dernier plantage, tant les logs d'erreurs peuvent s'avérer cryptiques. Cider est un meilleur client Apple Music... que l'application Apple Music © Cider Publicité, votre contenu continue ci-dessous De même qu'il est vain d'espérer retrouver toutes ses applications favorites de W11 : si certaines ont bien un fork Linux fonctionnel, comme les navigateurs web ou de messagerie comme Whatsapp, d'autres ne disposent d'aucun équivalent libre. Il faut alors se diriger vers des clients alternatifs adaptés par la communauté. Certaines sont de qualité, comme Cider, une bien meilleure application Apple Music que celle proposée par Apple. D'autres, comme les innombrables versions de Discord (Vesktop, Webcord...) sont au mieux imparfaites et vous feront regretter la facilité d'utilisation de Windows. De même pour les amateurs de jeux vidéo qui devront faire avec les problèmes de drivers capricieux avec les GPU externes ; même si l'expérience gaming sur Linux en 2025 est infiniment moins bridée qu'il y a même pas 10 ans grâce aux avancées du logiciel d'interprétation Proton, le même qui alimente le Steam Deck de Valve. Tout est finalement une histoire de compromis et de courbe d'apprentissage à encaisser pour pouvoir, finalement, s'affranchir de la solution de facilité. Et peut-être devenir un tremplin vers une pratique de l'informatique éloignée des GAFAM, en adoptant des écosystèmes libres ou décentralisés, comme virer sur Firefox et son très bon client Thunderbird, se faire un mail Proton, troquer la suite 365 pour LibreOffice... Il devient impossible au fil du temps de concevoir un web différent de celui qui nous est imposé depuis maintenant plus de deux décennies, et à l'heure où la souveraineté de nos informations personnelles n'a jamais autant été en danger, des pratiques plus saines paraissent plus importantes que jamais. Pour aussi revenir à l'idéal rêvé de J.C.R. Licklider où l'ordinateur personnel serait vraiment personnel. Quitte à souffrir toute une soirée sur des textboards imbittables. Comment ça, y a une erreur dans le paquet... Publicité, votre contenu continue ci-dessous