"Hergé musicien?" de Jean-Jacques et Renaud Nattiez, respectivement musicologue et spécialiste de Tintin, dresse l'inventaire de toutes les manifestations musicales présentes dans les albums du petit reporter. Premier ouvrage entièrement consacré à cette thématique, il sera disponible en mai. Hergé a toujours dit qu'il n'était pas musicien, qu'il n'y connaissait rien et que c'était un art qu'il ne comprenait pas. Une affirmation aujourd'hui remise en question dans le livre "Hergé musicien?" à paraître en mai aux Presses de l’Université de Montréal. Consacré aux rapports qu'entretenait le bédéiste belge avec la musique, l'ouvrage est signé des plumes de Jean-Jacques Nattiez, musicologue, et de son frère Renaud, auteur de nombreux livres et articles sur l'univers de Tintin ("Le mystère Tintin" (2016); "Le dictionnaire Tintin" (2017), "Brassens et Tintin, deux mondes parallèles" (2020)). L'ouvrage dresse un inventaire de toutes les manifestations musicales présentes dans les 24 albums du petit reporter: musiques de variété, chansons populaires ou chants d'enfant, mais surtout airs d'opéra. Un genre musical qu'Hergé disait ne pas aimer ni connaître, qu'il a pourtant abordé à travers le personnage haut en couleur de Bianca Castafiore. Cette cantatrice d'opéra ne chante sempiternellement qu'un seul air au cours de ses apparitions dans plusieurs albums: celui des bijoux tiré du "Faust" de Gounod. Un seul air, mais de nombreuses variations En bons analystes, les deux auteurs ont repris chacun des moments où la Castafiore chante, ou massacre, cet air. Ils ont ensuite repéré comment Hergé représentait les interprétations musicales de la cantatrice à travers la présence de notes disséminées dans les bulles. Et leur conclusion est que si la diva chante bien un seul air, elle ne le chante jamais de la même manière. "On trouve des blanches avec des hampes de doubles croches, on a des blanches qui sont barrées, des notes qui sont des carrés. Il y a toutes sortes de représentations de la musique qui sont purement fantaisistes", indique Jean-Jacques Nattiez dans l'émission L'écho des pavanes du 19 avril. "Certains auteurs en avaient déduit que c'était la preuve qu'Hergé ne connaissait pas la musique. Nous retournons le point de vue en montrant que c'est au contraire une manifestation de son génie inventif." Les deux auteurs en profitent aussi pour réhabiliter Bianca Castafiore, personnage féminin très caricatural dont on a une image plutôt négative. >> A écouter aussi: Tintin et la musique classique : Hergé-Moulinsart 2012 Tintin et la musique classique : Hergé avait-il l'Oreille cassée ? / L'Oreille d'abord / 86 min. / le 4 janvier 2025 D'autres références à la musique classique L'air des bijoux chanté par la Castafiore est omniprésent, mais il existe d'autres allusions au monde de l'opéra et de la musique classique. On sait par exemple que la Castafiore a chanté du Verdi et du Puccini. "On devine qu'elle a joué dans 'Madame Butterfly' parce qu'il y a un épisode où elle fait allusion à la casquette de Pinkerton [ndlr: élément central de cet opéra de Puccini]", précise le musicologue. Et lorsqu'elle oublie le nom du Capitaine Haddock, elle l'appelle Bartók, du nom du compositeur hongrois. De même, son pianiste s'appelle Igor Wagner, contraction d'Igor Stravinsky et de Richard Wagner. Dans "Les bijoux de la Castafiore", album qui se déroule entièrement au château de Moulinsart, après une longue enquête, c'est finalement une pie qui a volé l'émeraude et qui l'a cachée dans son nid, une allusion appuyée à la "Pie voleuse" de Rossini. Les lectrices et lecteurs attentifs peuvent déjà obtenir un indice lorsque la Castafiore, qui n'est jamais capable de se souvenir correctement des noms, parle de "Gounid" au lieu de Gounod. Une erreur qui "annonce que le nid sera la clé de l'affaire", s'amuse Jean-Jacques Nattiez. En se penchant sur cette question reprise dans le titre de leur livre, "Hergé musicien?", les deux auteurs ont mené un travail d'analyse pointu et précis qui permet de documenter encore un peu plus l'univers de Tintin. Car malgré les 550 livres déjà consacrés à Hergé, aucun n'avait encore été entièrement dédié à la question de la musique. Propos recueillis par David Christoffel Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente