Ligue 1 : A-t-on le droit de vibrer pour la saison de folie du RC Strasbourg, malgré la multipropriété BlueCo ?
Le chambrage ultime du Néerlandais Emanuel Emegha en direction de Leonardo Balerdi (« c’est un petit pour moi », en français dans le texte), le vestiaire transformé en dancefloor par le trio aux lunettes de soleil Bakwa-Moreira-Emegha, ou encore la masterclass face à l’OL (4-3) d'un Valentin Barco tout juste sorti de la maternité… Ne cherchez pas, les séquences les plus divertissantes de cette saison de Ligue 1 nous viennent d’Alsace. Pourtant, ce samedi (19 heures), à l’occasion d’un choc à Monaco (2e) qui pourrait rapprocher le Racing (6e à trois points de l’ASM) d’une bluffante qualification en Ligue des champions, les ultras strasbourgeois présents à Louis-II n’encourageront pas leur équipe durant les quinze premières minutes. Pourquoi donc ce « quart d’heure de silence » dans une folle série de 7 victoires et 2 nuls sur les 9 derniers matchs ? Existe-t-il un trio plus rafraîchissant dans notre Ligue des Talents que celui formé par Diego Moreira, Emanuel Emegha et Dilane Bakwa ? - Compte Instagram de Dilane Bakwa Un mouvement « BlueCo out » lancé en février 2024 Le jeu alléchant du groupe de Liam Rosenior n’est évidemment pas en cause ici, contrairement à la multipropriété dans laquelle a plongé le RC Strasbourg avec son rachat en juin 2023 par BlueCo, consortium américain propriétaire de Chelsea. « Même si la présence des deux directeurs sportifs de Chelsea dans le board de Strasbourg [Laurence Stewart et Paul Winstanley] nous a alertés, nous n’avons pas directement été dans la confrontation avec BlueCo, confie Maxime, vice-président des Ultra Boys 90, le principal groupe de supporteurs du club. Puis nos inquiétudes se sont confirmées avec des changements drastiques dans l’effectif et l’absence de retour des dirigeants de BlueCo à notre demande de les rencontrer. » C’est là que le mouvement « BlueCo out » se lance pour de bon, en février 2024, suivi d’une manifestation en mars et de banderoles hostiles au nouveau propriétaire US. Le plus souvent soporifique avec Patrick Vieira, le Racing lutte alors pour son maintien, avant de conclure la saison à la 13e place. Puis fin juillet, à trois semaines de la reprise de la Ligue 1, un coach de 40 ans inconnu du grand public (ex-Derby County et Hull City) débarque avec ses faux airs de Memphis Depay admis à Harvard. L'Anglais Liam Rosenior, qui a découvert seulement fin juillet Strasbourg, la France et la Ligue 1, nous sort une saison de coach de l'année. - S. Bozon / AFP « Tant qu’on a Liam Rosenior et Marc Keller… » Le « Rosenior ball » enchante vite les suiveurs du Racing, à commencer par LintouScouting Strasbourg (25 ans), qui s’enthousiasme sur son compte X. « J’avoue m’être dit au départ que Paul Winstanley filait le boulot à l’un de ses copains, sourit celui qui aimerait intégrer une cellule de recrutement. Et dès son premier match de préparation, il nous a sorti une tactique hybride à la Guardiola. On n’a jamais vu un jeu aussi offensif à Strasbourg. Alors oui, beaucoup de supporteurs se disent qu’on est devenu le centre de formation de Chelsea. Mais sans la multipropriété, jamais une perle comme Andrey Santos ne serait chez nous. » Le débat est là : peut-on kiffer son équipe lorsqu’on voit débarquer douze recrues en un été, et que son nouveau gardien Djordje Petrovic tire la tronche d’avoir été prêté en fin de mercato par Chelsea ? « Les nouvelles générations parviennent sans doute plus facilement à accepter ce Racing-là que celles qui ont connu un football populaire, poursuit LintouScouting Strasbourg. Je note surtout qu’avec BlueCo, nous pouvons jouer l’Europe, et ça me plaît de voir un coach arriver en annonçant qu’il vise une qualification en C1 avec tous ces jeunes sans complexe. Tant qu’on a Liam Rosenior et notre président Marc Keller, je me sens totalement en confiance. » Troisième meilleur buteur dans l’élite avec le Racing en 1997 et vainqueur de la Coupe de la Ligue cette même année, David Zitelli reconnaît avoir été « inquiet » lors de la vente du club : « On a vu les catas ayant plombé des clubs français avec l’arrivée de certains investisseurs étrangers, que ce soit à Troyes ou à Bordeaux par exemple. Mais j’ai immédiatement pensé que Marc Keller savait ce qu’il faisait. Il avait réussi des miracles en faisant remonter le Racing de la 5e division [en 2011-2012] à la Ligue 1 et il n’aurait jamais laissé les clés à n’importe qui. » Chelsea a « confié » quatre joueurs au Racing Ancien joueur et entraîneur emblématique du club, Yvon Pouliquen est bien conscient de l’importance de « la forte identité » qu’a toujours eue le Racing aux yeux de ses supporters. « Mais un Racing qui gagne, c’est forcément un Racing qui plaît aux Alsaciens, résume l’ex-coach vainqueur de la Coupe de France 2001. Ne vaut-il simplement pas mieux voir ce club lutter pour l’Europe plutôt que pour le maintien ? Alors oui, Chelsea va certainement profiter de Strasbourg en plaçant des jeunes joueurs. Mais comme on le voit cette saison, les investisseurs ne se sont pas beaucoup trompés et c’est aussi profitable au Racing. » 🇧🇷⭐️ | 𝐀𝐧𝐝𝐫𝐞𝐲 𝐒𝐚𝐧𝐭𝐨𝐬 (𝟐𝟎) 𝐃𝐎𝐌𝐈𝐍𝐀𝐓𝐄𝐒 in 11 Metrics among the U21 Midfielders in the Top-5 Leagues ~ @DataMB_ 🥇 Forward Passes — 1st 🥇 Forward Passes Completed — 1st 🥇 Possessions Won - Lost — 1st 🥇 Possessions Won — 1st 🥇 Interceptions — 1st 🥇 Goals… pic.twitter.com/Hgh0yYOxQ4 — Rising Stars XI (@RisingStarXI) April 9, 2025 L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires. Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies J’accepte Outre l’excellent milieu de terrain brésilien de 20 ans Andrey Santos (9 buts et 4 passes décisives en Ligue 1), les Blues ont donc prêté l’été dernier Djordje Petrovic, candidat au titre de meilleur gardien du championnat, et Caleb Wiley (depuis à Watford), tout en vendant pour 8 millions d’euros Diego Moreira, quelconque à Lyon et métamorphosé en tant que latéral-piston en Alsace. Même cet hiver, les arrivées du défenseur central Andrew Omobamidele (22 ans, prêté par Nottingham Forest), du latéral Valentin Barco (20 ans, prêté par Brighton) et de l’attaquant Samuel Amo-Ameyaw (18 ans, prêté par Southampton) sont des réussites qui détonnent dans notre « Farmers League ». Car on parle ici de jeunes talents déboulant tous de Premier League. Les UB90 veulent « la protection de l’institution » « Honnêtement, je ne connaissais aucun de ces joueurs, avoue David Zitelli. L’alchimie a pris, ça transpire le bonheur dans le vestiaire et je ne vois pas qui pourrait les arrêter. Je les sens même capables de mettre fin à l’invincibilité du PSG en Ligue 1 [le 3 mai à la Meinau]. On ne peut que dire merci à BlueCo, à son investissement et à son travail. » Un discours que ne partagent pas les quatre associations faisant partie de la Fédération des supporters du Racing, qui ont appliqué leur grève d’encouragements durant quinze minutes pour chaque match disputé à domicile comme à l’extérieur depuis le début de la saison. Si la Meinau va atteindre le cap des 60 matchs de rang à guichets fermés, elle reste donc tristoune à chaque entame en raison de ce « mouvement pacifique », qui n’empêche pas certains supporters d’y voir un « conflit ouvert » entre pro et anti-BlueCo au stade. « C’est vrai qu’il y a pu y avoir des tensions, surtout quand une personne a souhaité déchirer notre banderole visant BlueCo, mais chacun est libre de nous suivre ou non », insiste Maxime des UB90. « On fait passer un message fort. C’est dur pour nous, ça ne vise absolument pas les joueurs comme on a pu l’expliquer en janvier à Liam Rosenior et au capitaine Habib Diarra. C’est une contestation décorrélée des résultats sportifs. On estime que les décisions à la tête du club sont prises par BlueCo et non plus par Marc Keller et la direction du Racing. C’est la protection de l’institution qui nous importe plus que tout. » Cédric Kanté s’estime « en droit de s’enthousiasmer » Il y a bien eu une avancée samedi dernier avant le match contre l’OGC Nice (2-2), lors d’une « brève discussion de dix minutes » au bar 90+4 (une superbe référence au coup franc du maintien de Dimitri Liénard contre l’OL en 2018) avec Behdad Eghbali, principal dirigeant de BlueCo. Une « vraie réunion » est espérée d’ici fin juin par les UB90 (800 membres), qui maintiendront leur « quart d’heure de silence » jusqu’à la fin de la saison. Ici lors d'un derby de Londres féminin, fin mars entre Chelsea et West Ham, l'un des actionnaires de BlueCo Behdad Eghbali a assisté à Strasbourg-Nice samedi dernier. - D. Shopland/SIPA « Heureusement qu’il y a de la méfiance quand ce type de projet arrive, salue Cédric Kanté, capitaine du Racing dans les années 2000. Dans l’idéal, on aurait tous voulu d’un président alsacien à l’ancienne mais on est face à un nouveau football. Par rapport à la situation à Montpellier, Reims ou Lens, c’est presque inespéré de voir le Racing avec cette puissance financière. » Désormais consultant sur la Ligue 1 pour Canal+ Afrique, l’ancien international malien poursuit. « Le constat est clair : autant le projet sportif de Chelsea n’avait souvent ni queue ni tête ces dernières années, autant c’est tout l’opposé cette saison à Strasbourg. On est en droit de s’enthousiasmer et je ne comprends pas bien pourquoi les ultras font payer le prix aux joueurs avec cette grève pendant 1/6e de match. On est quand même à quelques points d’une fin de saison historique, avec des joueurs qui se dépouillent et qui nous font plaisir. » Sauf que les ultras strasbourgeois gardent avant tout en mémoire les périodes sombres de leur club en coulisses, que ce soit lors des années américaines IMG-McCormack (de 1997 à 2003) puis avec Jafar Hilali (de 2009 à 2011), à l’issue desquelles le Racing avait été vendu pour un euro symbolique. « Merci à l’OL et à John Textor de faire bouclier » « Le succès sportif occulte beaucoup de choses par rapport à la gouvernance, note Maxime des UB90. Personnellement, cette saison me laisse un sentiment plus amer que la victoire en Coupe de la Ligue en 2019 ou la 6e place avec Julien Stéphan en 2022. Les émotions étaient alors plus authentiques. On se reconnaissait davantage dans le club, qui représentait alors nos valeurs. » Alors qu’il évoque « des relations cordiales avec le club », ce porte-parole des Ultra Boys conclut : « Malgré les résultats, on est moins heureux. Pendant une dizaine d’années, on était comme dans une bulle, protégés du foot business avec Marc Keller. Là, on a mal vécu la transition et c’est difficile de s’identifier aux joueurs actuels. » Au contraire comblé par Emanuel Emegha (13 buts en Ligue 1) and co, LintouScouting Racing a un message un peu particulier : « Merci à l’OL et à John Textor de faire bouclier à ce RC Strasbourg version BlueCo. » Car loin de la perception du nébuleux projet Eagle Football entre Lyon, Botafogo et Molenbeek, les pas de danse de Dilane Bakwa et de ses potes suffiraient presque à nous convaincre des bienfaits de la multipropriété dans le football.