« On est dans l’inconnu »… Un guitariste joue en live devant les animaux pour savoir s’ils sont mélomanes
Emportées par le vent, les notes de guitare ne vont pas très loin. Au-dessus de l’okapi, les hauts chênes et les sapins qui dansent au rythme des rafales couvrent une bonne partie de la mélodie de l’instrument. Mais la petite girafe zébrée a parfaitement entendu le son des cordes. Dès les premières notes, son regard se braque sur le musicien assis en lisière de son enclos. L’homme se met alors à chanter, entonnant le morceau Ho Hey du groupe de rock américain The Lumineers. L’okapi l’écoute quelques secondes puis s’en va dans son enclos. Il ne reviendra pas. Cette scène s’est déroulée mardi au sein du parc de Branféré, dans le Morbihan. Ce parc animalier pas comme les autres va mener pendant deux mois une expérience scientifique visant à analyser la réaction des animaux à la musique. Plutôt que de se contenter de diffuser du son, les équipes du parc ont préféré faire appel à des véritables musiciens afin qu’ils viennent jouer et chanter face aux animaux. « On dit que la musique adoucit les mœurs. Mais est-ce que c’est le cas chez les animaux ? Est-ce que ça leur fait peur ? Ou bien est-ce que ça les apaise ? On est un peu dans l’inconnu sur tous ces sujets », reconnaît Alexandre Petry, directeur scientifique de Branféré et éthologue de formation. Un peu plus tard, c’est au tour des siamangs d’écouter la même chanson. Ce singe réputé pour son chant puissant s’agite et court devant le musicien, les bras levés en l’air pour se maintenir en équilibre. Puis il tourne le dos au chanteur et lâche un long étron marron juste devant l’artiste. Parce qu’il n’apprécie pas ce concert privé ? « C’est impossible à dire. Il nous faudra renouveler l’expérience plusieurs fois et l’analyser pour espérer en tirer des enseignements », poursuit l’éthologue. Le parc animalier de Branféré possède l'une des plus importantes colonie de manchots en Europe. - M. Bertrand/Hans Lucas Cette analyse, ce ne sont pas les équipes du parc animalier qui la mèneront, mais des chercheurs de l’université de Nanterre avec lesquels elles se sont associées. « Nous devons suivre un protocole strict. Nous filmons cinq minutes avant la musique, sept minutes pendant, et cinq minutes après », détaille le directeur du parc, Tom Daune, qui évoque « une première en Europe ». « Le pouvoir de la musique est énorme » Pour ce premier essai, le parc animalier a fait appel au musicien Plumes. Muni de sa guitare, le jeune chanteur est un habitué des concerts animaliers. Depuis presque trois ans, il arpente la France pour jouer devant des vaches, des chevaux, des ânes, des cochons, mais aussi des girafes ou des lémuriens. « L’interaction n’est jamais garantie. Parfois, il ne se passe rien. Mais le pouvoir de la musique est énorme. Parfois, c’est immédiat, d’autres fois, il faut attendre trente minutes avant qu’ils ne s’approchent. Mais c’est toujours un moment fort », explique le chanteur, qui s’est découvert cette passion en jouant devant les animaux de la ferme de sa grand-mère. Depuis quelques mois, les vidéos qu’il poste sur ses réseaux sociaux font un véritablement carton, au point que le garçon totalise désormais 500.000 followers sur Instagram. « Je ne choisis que des chansons d’amour, parce qu’elles sont douces et qu’elles laissent passer des émotions », poursuit ce défenseur de la cause animale. Alors qu’il interprétait Perfect d’Ed Sheeran, Plumes a vu s’approcher une grue couronnée et une grue du paradis, visiblement curieuses d’entendre résonner cette guitare. Les wallabies, eux, n’oseront pas s’approcher trop près. « L’instinct animal », comme le chantaient la regrettée Dolores O’Riordan et les Cranberries. De la harpe après la guitare Après Plumes, deux autres artistes viendront chanter et jouer de la guitare ou de la harpe devant les animaux. A chaque fois, le protocole sera le même, afin que les scientifiques chargés d’étudier les réactions des bêtes puissent en tirer des conclusions. « Dans la nature, certaines espèces ont de vraies stratégies de chant, des rythmes qui leur sont propres. Donc on est impatients de savoir ce que l’on pourra apprendre sur la musicalité des animaux. Mais il faut savoir attendre, car l’éthologie est une science qui prend du temps », rappelle Alexandre Petry. L'artiste Plumes (à gauche) est supervisé par Alexandre Petry, directeur scientifique de Branféré, pour jouer devant les animaux du parc animalier du Morbihan. - C. Allain/20 Minutes Ce n’est pas la première fois que ce parc animalier s’aventure dans de telles expériences. Depuis son ouverture en 1985, Branféré a toujours servi de laboratoire à ciel ouvert pour les scientifiques. Mais aucun n’avait chanté Bobby McFerrin et son tube Don’t worry, be happy. En français : Ne t’inquiète pas, et sois heureux. Après tout, ça ne coûte rien d’essayer.