François, le pape qui a fait entrer l'Église catholique dans le XXIe siècle

Temps de lecture: 10 minutes Affaibli par une pneumonie et des problèmes respiratoires depuis la mi-février, le pape François est mort ce lundi 21 avril 2025 à 7h35, à l'âge de 88 ans, selon une annonce officielle du Vatican. Élu pape en mars 2013, il est resté durant douze ans et un mois à la tête du Saint-Siège. François s'éteint plus de deux ans ans après Benoît XVI (décédé le 31 décembre 2022), auquel il avait succédé à la suite de sa renonciation. Le soir de sa mort, le Vatican a annoncé les causes exactes de son décès: «accident vasculaire cérébral (AVC), coma, défaillance cardiovasculaire irréversible». Pope Francis died on Easter Monday, April 21, 2025, at the age of 88 at his residence in the Vatican's Casa Santa Marta. pic.twitter.com/jUIkbplVi2 — Vatican News (@VaticanNews) April 21, 2025 Depuis quelques années, le pape François accumulait les incidents de santé. À l'été 2021, il avait déjà subi, sous anesthésie générale, une opération pour soigner une inflammation au côlon. C'était ensuite un ligament endommagé du genou droit (à cause d'une arthrose), qui l'obligeait à subir des infiltrations et à se déplacer en fauteuil roulant. Ayant gardé un mauvais souvenir de l'anesthésie générale, il avait alors refusé toute opération. En mars 2023, il avait été hospitalisé pour des problèmes respiratoires. Et quelques mois plus tard, le 7 juin, il avait été opéré «sans complications» d'une hernie abdominale, pour un risque d'occlusion intestinale, alors qu'il souffrait de diverticulite (une inflammation des diverticules, des hernies ou poches qui se forment sur les parois de l'appareil digestif). Abonnez-vous gratuitement à la newsletter de Slate ! Les articles sont sélectionnés pour vous, en fonction de vos centres d’intérêt, tous les jours dans votre boîte mail. Valider Plutôt épargné par les soucis de santé en 2024, François a de nouveau pris la route de l'établissement romain Agostino-Gemelli, surnommé «l'hôpital des papes» depuis les passages répétés de Jean-Paul II (1920-2005), au cours du mois de février 2025. D'abord hospitalisé pour une bronchite, le 14 février, le Saint-Siège a ensuite annoncé que le pape François souffrait d'une infection polymicrobienne des voies respiratoires et d'une pneumonie bilatérale, qui a affecté ses deux poumons. Son état de santé a été fluctuant –entre «légère amélioration» le 19 février et «crise respiratoire» le 22– et est resté «critique» pendant plusieurs jours. Après une amélioration graduelle de sa condition physique, il est resté à l'hôpital Gemelli de Rome pendant trente-huit jours, jusqu'à sa sortie le 23 mars, où il avait pu saluer très rapidement les fidèles. Depuis, le pape argentin était en convalescence dans sa résidence Sainte-Marthe, au Vatican. Devant observer un «strict repos» de deux mois, sans apparitions publiques, il n'avait pas pu prendre part aux célébrations pascales de la semaine sainte, pour la première fois depuis 2013. Mais dimanche 20 avril, après avoir reçu le vice-président américain J.D. Vance, il avait pu se présenter au balcon de la basilique Saint-Pierre, en fauteuil roulant et visiblement toujours affaibli, lors de la traditionnelle bénédiction Urbi et orbi («à la ville et au monde») du jour de Pâques. «Chers frères et sœurs, bonne fête de Pâques», a-t-il brièvement lancé aux fidèles, avant de laisser la parole à un cardinal pour la lecture de son texte, puis de bénir la foule d'une voix affaiblie. Il s'est ensuite offert un bain de foule imprévu à bord de la papamobile, pendant une quinzaine de minutes sur la place Saint-Pierre. C'était sa dernière apparition publique. Pour plusieurs raisons, liées à sa personnalité, à son exercice de la papauté, à ses décisions énergiques pour changer l'Église catholique, le pape François ne s'est pas fait que des amis, tant au sein de l'institution qu'à l'extérieur. Mais si elles n'ont pas abouti à des réformes substantielles, les douze années de son pontificat ont permis à l'Église d'entrer dans le XXIe siècle. De Buenos Aires au Vatican Le 13 mars 2013, le monde a découvert Jorge Mario Bergoglio, jusqu'alors archevêque de Buenos Aires, le «bout du monde», d'après ses premiers mots prononcés à la foule massée sur la place Saint-Pierre, à Rome, ce soir-là. Il est élu pape sous le nom de François, un prénom jamais utilisé par un pontife romain. «Un nom pour un programme», illustré par la déclaration qu'il fit à la presse après son élection: «Ah! comme j'aimerais une Église pauvre pour les pauvres!», s'inspirant ainsi de saint François d'Assise (1181-1226). Dans sa manière d'agir, de «faire le pape», François s'est distingué de son prédécesseur, Benoît XVI (pape entre 2005 et 2013), entré dans l'histoire pour avoir librement renoncé à son ministère. Le nouvel évêque de Rome héritait alors d'une Église cernée par les scandales (l'affaire des fuites au Vatican ou Vatileaks, qui a débuté en 2012) et décrédibilisée en raison de la gestion erratique de la Curie romaine, l'administration du Vatican. Jorge Mario Bergoglio connaissait peu les arcanes romains. Né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, de parents d'origine piémontaise installés en Argentine, le futur pape a quatre frères et sœurs. Il entre chez les jésuites à l'âge de 22 ans. Il étudie pendant douze ans et est ordonné prêtre en décembre 1969, quatre ans après la fin du concile Vatican II (octobre 1962-décembre 1965). Sur le même sujet Soixante ans plus tard, que reste-t-il de Vatican II? En 1973, le père Jorge Mario Bergoglio est élu provincial des jésuites pour un mandat de six ans. Il vit alors l'acmé de la dictature militaire argentine (1976-1983), à un poste exposé. Plus tard, son attitude durant cette période sera pointée du doigt dans un ouvrage, qui l'accuse de s'être tu et même d'avoir approuvé l'enlèvement de deux jésuites en mai 1976 (le Hongrois Jálics Ferenc et l'Argentin Orlando Yorio, séquestrés pendant cinq mois). Devant ses confrères hongrois en avril 2023, François reviendra sur cet épisode, vécu comme une «blessure», tout en se déclarant innocent. Nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992, archevêque en 1998, Jean-Paul II le crée cardinal en 2001. Lors du conclave d'avril 2005, le cardinal Bergoglio devient le challenger de Joseph Ratzinger, lequel est finalement élu. En Argentine, il emprunte les transports en commun, célèbre dans les bidonvilles, met en pratique la «théologie du peuple», qui s'inscrit dans le sillage de la théologie de la libération, moins marxiste et davantage en adéquation avec le péronisme argentin (le mouvement politique initié par Juan Domingo Perón, président de l'Argentine entre 1946 et 1955). Durant son épiscopat, il se heurte aux époux Kirchner, Néstor et Cristina, au pouvoir de 2003 à 2015 dans le deuxième plus grand pays d'Amérique du Sud, au sujet du mariage gay ou sur la libéralisation de l'avortement, à tel point que le couple Kirchner le considère comme le «véritable chef de l'opposition». Ses relations avec Cristina Kirchner (présidente entre 2007 et 2015) se réchaufferont après son élection sur le siège de Pierre. Une Église plus ouverte, mais pas libérée de ses démons internes Dès son intronisation, le 19 mars 2013, le nouveau pape bénéficie immédiatement d'une bonne image dans l'opinion publique, y compris auprès des non-catholiques. Sa simplicité, le renoncement à la pompe pontificale et sa manière de s'exprimer le rendent sympathique, alors que l'Église apparaît de plus en plus discréditée. Les scandales d'abus sexuels et viols de la part de prêtres ternissent l'institution. Dans le sillage du mouvement #MeToo, les accusations vont même s'intensifier sous François. Le 20 août 2018, alors qu'éclatent de toutes parts les révélations, le pape publie une «Lettre au peuple de Dieu», dans laquelle il sollicite l'appui des laïcs dans la lutte contre le cléricalisme, «cette attitude qui annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l'Esprit saint a placée dans le cœur de notre peuple». François pense que cette déviance de l'exercice du pouvoir au sein de l'Église est à la racine systémique des abus de toutes sortes qui la minent. Cet appel aux laïcs s'exprime aussi à travers les synodes convoqués par le pape argentin durant son pontificat. Famille (2014-2015), jeunes (2018), Amazonie (2019), synodalité (2023-2024): ces sujets ont été pensés à partir des laïcs, qui ont été consultés, préfigurant ainsi le style que souhaite imprimer ce pape, plus inclusif, plus pastoral et tenant compte de l'avis de tous. Cette méthode n'a pourtant pas porté tous les fruits espérés et les réformes attendues –sur l'ordination presbytérale d'hommes mariés, l'ordination diaconale de femmes– n'ont finalement pas obtenu assez de soutien de la part des évêques lors des synodes successifs. De même que pour les divorcés remariés, comme pour les personnes LGBT+, François a accueilli et s'est voulu proche. Mais il n'a jamais rien changé à la doctrine, livrant certes une interprétation des textes plus ouverte, mais qui n'obligera pas ses successeurs. Publiée en décembre 2023, Fiducia supplicans («Confiance suppliante»), une déclaration du Dicastère pour la doctrine de la foi (anciennement Saint-Office), en est la preuve. Le simple fait de bénir des couples dits «irréguliers» a suscité un tollé en Afrique, sous la houlette du cardinal congolais Fridolin Ambongo, archevêque capucin de Kinshasa (RDC). Une lente et difficile réforme des institutions Sous ses aspects débonnaires, François était un chef qui avait compris ce que gouverner veut dire. En un peu plus de douze ans de pontificat, il a signé davantage de rescrits, de motu proprio, de lettres et de constitutions apostoliques, pour changer le droit canonique (notamment au sujet des scandales sexuels) et les rapports liés au pouvoir au sein de la Curie romaine, que ses deux prédécesseurs directs. Élu pour réformer la Curie, c'est en 2022 que Jorge Mario Bergoglio parvient à proposer une nouvelle constitution. Praedicate Evangelium («Annoncez l'Évangile») renforce les pouvoirs pontificaux et cherche à faire de la Curie une simple administration au service de l'Église (et plus seulement du pape). Là encore, des laïcs sont appelés à y exercer des responsabilités, là où seuls les clercs étaient jusqu'alors aux commandes. Ainsi, il faut noter les prises de fonction de deux religieuses italiennes en début d'année 2025. Tout d'abord, il y a le choix de sœur Simona Brambilla (59 ans) comme préfète du Dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. Première femme à accéder à une telle fonction au sein de la Curie romaine, elle a été nommée à ce poste par le pape le 6 janvier 2025 et sera assistée par un cardinal propréfet qui signera les décisions (car seuls les ministres ordonnés peuvent le faire). De plus, après une annonce du pape à la télévision le 19 janvier, puis officiellement par le Vatican le 15 février, sœur Raffaella Petrini a été nommée présidente du Gouvernorat de l'État de la Cité du Vatican, le pouvoir exécutif du micro-État, un poste occupé par le passé uniquement par des cardinaux. De manière modeste, François a avancé dans cette direction, sans non plus bousculer l'institution romaine. Une diplomatie singulière et une Église toujours en crise Chef de l'Église catholique, l'évêque de Rome est aussi un chef d'État, qui dispose d'une diplomatie souterraine et efficace. Le pape argentin a très rapidement montré son intérêt pour ces sujets quelque peu délaissés par son prédécesseur. Ainsi, au début de son pontificat, François a joué «un rôle crucial dans l'accord américano-cubain» du 17 décembre 2014 entre le président américain Barack Obama et son homologue cubain Raúl Castro, reconnu publiquement par les deux leaders. En revanche, au sujet de l'invasion russe en Ukraine, «François a tenu des discours parfois incohérents et malhabiles», comme nous le confie Constance Colonna-Cesari, journaliste spécialiste du Vatican et autrice du livre Dans les secrets de la diplomatie vaticane (février 2016). «Sur ce sujet, François, un Latino-Américain, marchait sur des œufs, en terrain miné à tous les niveaux, qu'ils soient politiques, diplomatiques et religieux», poursuit-elle, tout en précisant que «ce qui nous paraît incohérent et illisible en temps réel peut très bien fonctionner. François n'a négligé aucun canal.» Il en est de même au sujet de son attitude vis-à-vis de la Chine, qu'il n'a jamais visitée: elle a laissé perplexe plus d'un expert en géopolitique. Sur le même sujet Entre le Vatican et la Chine, la tentation du rapprochement Jorge Mario Bergoglio n'a pas vraiment compris l'Europe, ou plutôt le monde occidental. Venu d'Argentine, il s'est toujours méfié des États-Unis et de leur hégémonie plus ou moins revendiquée, sur le continent américain et au-delà. La nouvelle élection de Donald Trump en novembre 2024 a accentué cette méfiance. Le 10 février 2025, il a écrit une «Lettre aux évêques des États-Unis d'Amérique», dans laquelle il s'oppose au «programme de déportations de masse» que l'administration Trump souhaite mettre en place. Le pape François ne comptait pas davantage sur l'Europe, considérée comme une «grand-mère» à bout de souffle. Pour lui, la dynamique était au Sud et il a soutenu sans réserve les mouvements populaires et leur volonté de construire un modèle économique différent, qui n'exclut pas les pauvres. À cause de ces prises de position éloignées du néolibéralisme, il a été accusé par des conservateurs nord-américains d'être un «communiste». Que restera-t-il de François? Dans quel «camp» le classer? Son combat contre la sphère traditionaliste en défense du concile Vatican II, sa lutte contre le cléricalisme et la rigidité cléricale, sa main tendue aux autres religions (notamment l'islam) et aux autres Églises chrétiennes nourrissent l'idée d'un pape réformateur. On peut penser qu'il a en effet infléchi peu ou prou le cours de plus en plus conservateur imprimé par les deux précédents papes et tenté de renouer avec des intuitions réformatrices de Vatican II. En parallèle, le pape François a taxé les médecins pratiquant des interruptions volontaires de grossesse (IVG) de «tueurs à gages», à deux reprises avec ces mots: en octobre 2018, puis de nouveau en septembre 2024, en marge de sa visite en Belgique. Il a protégé un temps l'artiste et prêtre jésuite slovène Marko Rupnik, violeur en série de femmes ayant exercé dans son atelier de mosaïques. Et il a parfois abusé d'autorité dans sa gestion quotidienne du Vatican, renvoyant du jour au lendemain et parfois sans explication des collaborateurs attachés à son service. Sur le même sujet Que se passera-t-il en cas de décès du pape François? Mais en ne modifiant en rien la doctrine et la discipline (statut du prêtre et place des femmes), François a finalement conservé l'essentiel, au risque d'aggraver la crise dans l'Église. Car l'institution laissée par le pape jésuite à son futur successeur est toujours mal en point, comme en 2013. Le pape argentin n'a en effet pas réglé la crise des violences sexuelles: il s'est plus d'une fois montré inconstant, voire ambigu dans sa lutte pour les éradiquer. Sa réforme de la Curie est inaboutie, toujours romano-centrée, alors qu'une décentralisation –qu'il a souhaitée– paraît absolument nécessaire. Il a aussi relancé la guerre liturgique avec les minorités traditionalistes, plus vindicatives que jamais à son égard. Le pape issu du prochain conclave montrera quels aspects de cette crise les cardinaux veulent voir être réglés en priorité. Mais il ne sera pas simple de tourner la page François, créateur d'une majorité d'entre eux, et qui aura, par son utilisation des médias et par sa personnalité, fait entrer l'Église catholique dans le XXIe siècle.