Marché : Wall Street en berne, dollar menacé…Les marchés américains ont la gueule de bois après 100 jours de Trump

(BFM Bourse) - Les cent premiers jours de Donald Trump ont poussé le marché à changer totalement son fusil d'épaule, les investisseurs fuyant Wall Street pour se ruer vers les actifs non américains. Ni les actions états-uniennes, ni le dollar, ni les obligations américaines ne sont épargnés. Le 6 novembre dernier, lors de l'annonce de la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine, les investisseurs avaient applaudi. Les baisses d'impôts promises par le républicain pour les ménages et les entreprises, mesures favorables à la croissance, éclipsaient alors les risques sur l'inflation liés à sa volonté de réduire l'immigration et de mettre en place des surtaxes douanières. Le S&P 500, l'indice boursier le plus représentatif de Wall Street, avait pris plus de 2,5%. Désormais les marchés déchantent. Le S&P 500 perd 6% depuis le début de l'année. À titre de comparaison notre CAC 40 national prend 2,5% sur la même période, et le DAX 40 de Francfort gagne 12,8%. Autres chiffres: sur les 100 premiers jours de la présidence de Donald Trump, une étape franchie ce mardi 29 avril, le S&P 500 abandonne pour l'heure 7,8% et le Nasdaq Composite chute de 13%. Il s'agit tout simplement de la pire performance des marchés américains au cours des 100 premiers jours d'un président depuis 1974 et le début de la présidence de Gerald Ford, qui avait succédé en août de la même année à Richard Nixon, à la suite du scandale du Watergate. Le S&P 500 avait ainsi perdu 9,7% entre l'arrivée de Ford dans le bureau ovale de la Maison Blanche et novembre 1974, note Quartz. L'économie américaine était alors frappée de plein fouet par le premier choc pétrolier, celui de fin 1973. >> Accédez à nos analyses graphiques exclusives, et entrez dans la confidence du Portefeuille Trading "Un choc stagflationniste" Pour revenir aux temps présents, les investisseurs ont été échaudés par l'imprévisibilité de Donald Trump. "Le style de négociation agressif et imprévisible de l'administration américaine et ses efforts pour transformer un système politique fondé sur des règles en un système plus présidentiel, moins fondé sur l'équilibre des pouvoirs, s'accompagnent de dommages collatéraux importants", explique la banque Safra Sarasin. Les droits de douane ont constitué le sujet le plus épineux. Le locataire de la Maison Blanche a annoncé différentes salves de surtaxes douanières. La date la plus marquante reste évidemment celle du 2 avril, le fameux "Liberation Day" durant lequel le président américain a fièrement brandi un tableau avec les différents taux des droits de douane additionnels appliqués à chaque pays ou chaque zone géographique. En deux séances, celles des 3 et 4 avril, Wall Street a lâché plus de 10,5%. Les investisseurs ont aussi été surpris par la simplicité aberrante de la méthodologie utilisée pour calculer ces surtaxes douanières. Pour simplifier, cela revient à appliquer un taux dépendant du déficit commercial rapporté aux importations de biens, soit un calcul niveau primaire. L'approche retenue pour calculer les droits de douane "a soulevé de sérieuses questions sur la crédibilité de la politique économique des États-Unis", notait alors Deutsche Bank. Certes, Donald Trump a depuis mis de l'eau dans son vin. Le président américain a suspendu les droits de douane annoncés le 2 avril jusqu'en juin, à l'exception de ceux infligés à la Chine. Il a également adouci le ton face à Pékin, déclarant que les États-Unis comptaient réduire les surtaxes douanières de 145% infligées aux importations chinoises. Mais le désordre persiste. Dernier exemple en date: Donald Trump a assuré ce week-end s'être entretenu avec son homologue chinois, Xi Jinping, au sujet des droits de douane, ce que Pékin dément fermement. Plus largement, le mal est fait pour les marchés, et surtout pour les marchés américains. "Les droits de douane et l'incertitude constituent un choc stagflationniste pour l'économie américaine (croissance plus faible, inflation plus élevée), et les actions ont dû évoluer pour intégrer cette réalité", écrit Paul Digger, chef économiste du gérant d'actifs Aberdeen. Un dollar en chute libre Le choc provoqué par Donald Trump ne s'est pas limité aux actions. Le dollar, dont la vigueur semblait indéboulonnable, est en chute libre. Le billet vert perd 9% depuis le début de l'année face à l'euro et l'indice DXY, qui mesure la performance du dollar face à un panel de grandes monnaie internationales, abandonne 8,5% sur la même période. Le dollar fait face à un risque de "crise de confiance", comme l'exprimait récemment Deutsche Bank. La banque allemande expliquait notamment que l'administration Trump et ses calculs simplistes sur les droits de douane ont miné le dollar. L'établissement résumait cela par "des maths simples= un problème pour le dollar". Par ailleurs la devise est minée par le fait que plusieurs pays lâchent les cordons de la Bourse pour relancer leur économie dans ce contexte d'incertitudes, l'Allemagne en tête, alors que les États-Unis comptent, eux, freiner leurs dépenses. Ce qui risque de réduire l'écart de croissance entre les États-Unis et le reste du monde et de pénaliser ainsi le dollar. Le dollar est plombé par le fait que "le reste du monde souhaite moins financer les déficits jumeaux (le déficit commercial et le déficit public, NDLR) croissants des États-Unis" et par "une plus grande volonté de déployer la marge de manœuvre budgétaire nationale pour soutenir la croissance et la consommation en dehors des États-Unis", résume Deutsche Bank. La banque allemande n'exclut pas que l'euro gagne encore du terrain face au dollar et atteigne 1,30 dollar. Les obligations américaines, ont également souffert, même si la panique est bien retombée. Rappelons que la valeur des obligations évoluent en sens inverse des taux, des rendements. Actuellement, le rendement du titre de dette américaine à 10 ans s'établit autour de 4,23% soit moins qu'en janvier, avant l'arrivée de Trump à la Maison Blanche, lorsque ce taux s'élevait autour de 4,6%. Autrement dit ce titre a vu sa valeur progresser. Mais un immense coup de chaud a eu lieu début avril, lorsque ce même taux a grimpé de près d'environ 70 points de base (0,7 point de pourcentage) en quelques jours, un bond vertigineux et alarmant. Bank of America estimait qu'une "tempête parfaite" se présentait aux investisseurs sur la dette américaine avec à la fois un risque d'inflation due aux droits de douane mais aussi un risque d'aggravation du déficit public. Pour beaucoup d'observateurs, c'est l'envolée de ces taux obligataires, synonymes de coûts d'emprunts plus élevés pour les États-Unis et donc de risque de financement, qui a poussé Donald Trump à mettre le "hola" sur les droits de douane et à décréter sa fameuse pause de 90 jours. "Bien que le président Donald Trump ait été en mesure de résister à la chute des marchés boursiers, une fois que le marché obligataire a commencé à s'affaiblir, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne renonce à ses droits de douane excessivement élevés", a écrit Paul Ashworth de Capital Economics. "Ce n'est pas beau à voir" In fine, Donald Trump a réussi à faire fuir les investisseurs et à les amener à se réfugier vers les actifs non américains. "Les investisseurs mondiaux se sont lancés dans un vaste mouvement de "Sell America"", explique Safra Sarasin. "Le marché est en train de réévaluer la probabilité d'une récession aux États-Unis et des risques se posent sur l'exceptionnalisme américain", prévient de son côté Goldman Sachs, ce mardi. L'"exceptionnalisme américain" est initialement une théorie qui renvoie à l'idée que les États-Unis possèderaient des standards uniques et supérieurs par rapport aux autres pays, ce qui les pousserait à jouer un rôle prépondérant dans le concert des nations. En Bourse, cela veut plus simplement dire que les marchés américains battent quasiment tous le temps les autres marchés pour de multiples raisons, notamment la capacité des États-Unis à innover et générer de la croissance. Mais cet exceptionnalisme est désormais remis en question. Car, comme dit plus haut, les États-Unis sous-performent désormais les autres pays et régions sur les marchés financiers. Bank of America explique que la situation a basculé de "l'exceptionnalisme américain" à "la répudiation des États-Unis". "Une réévaluation large de l'attrait des actifs américains (actions, obligations, dollar) est en cours. Les États-Unis ont connu une décennie ou plus d'exception, surpassant le reste du monde en termes de croissance et attirant de nombreux capitaux", écrit Paul Digger d'Aberdeen. "En conséquence, les actions et le dollar sont surévalués, même après les récents mouvements de ventes (sur les marchés, NDLR). Si un scénario veut que Trump continue de céder sur les droits de douane et que les entreprises américaines redeviennent attrayantes, un autre scénario veut que les valorisations élevées, le ralentissement de la croissance et l'incertitude politique profonde signifient qu'une sortie structurelle des capitaux des investisseurs des actifs américains est maintenant en cours", prévient-il. "Les investisseurs étrangers ont cessé d'affluer sur les marchés obligataires et boursiers américains au cours des deux derniers mois", abonde Deutsche Bank dans une note publiée lundi. "Nous en déduisons que les flux observés jusqu'à présent indiquent, au mieux, un ralentissement très rapide des entrées de capitaux aux États-Unis et, au pire, la poursuite d'un désinvestissement actif des actifs américains", estime l'établissement. Et Deutsche Bank de conclure: "ce n'est pas beau à voir".